Série par Maxime Pateau
Note d'intention
En janvier 2015, La Cimade m’a demandé de réaliser une exposition sur les migrants. Avant de regarder le résultat, j’aimerais vous expliquer les symboles que j’ai voulu intégrer aux photos afin que vous compreniez mieux ma démarche. J’ai choisi de photographier de « vrais » migrants afin d’avoir de vraies expressions, de vrais sentiments, de vraies histoires.
La nuit, le crépuscule
J’ai choisi de photographier les réfugiés et les migrants dans un environnement sombre, pas parce ce qu’ils se cachent mais pour symboliser leur nécessaire « discrétion ». La nuit gomme les différentes teintes de poils et de peaux. La nuit gomme aussi les préjugés et favorise la rencontre.
La valise
Dans chaque photo, il y a une valise qui symbolise le voyage. La valise symbolise aussi les souvenirs, les nouvelles idées, le bagage culturel et aussi les nouvelles façons de penser que les migrants amènent avec eux. Cela ne veut pas dire que chaque migrant arrive avec une valise pleine parce que beaucoup d’entre eux n’ont qu’un sac plastique, voire rien du tout en arrivant.
Le mouvement
J’ai voulu mettre du mouvement dans les photos, tout simplement parce que je trouvais cela évident, selon la définition de migration»: « Une migration humaine est un déplacement du lieu de vie d’individus. C’est un phénomène probablement aussi ancien que l’humanité ».
La solitude
J’ai voulu que chaque migrant soit seul sur la photos afin de montrer la solitude de la vie de migrant et/ou de réfugié. Arriver dans un nouveau pays, tout recommencer, cela veut aussi dire :
- Apprendre une nouvelle langue ;
- Apprendre de nouveaux codes dans une nouvelle culture ;
- Trouver un nouveau travail avec tous les problèmes de diplômes et de compétences qui ne sont pas les mêmes selon le pays d’où l’on vient ;
- Se faire de nouvelles connaissances, de nouveaux amis.
Pour conclure, je cite André Malraux :
Avant de juger, il faut comprendre et quand on a compris, on a plus envie de juger.
Maxime PATEAU
Racines n°42 novembre 2015
Une exposition consacrée aux réfugiés, c’est lourd de sens… Est-ce un acte engagé ?
Cette exposition m’a été commandée avant le drame des migrants que l’actualité médiatique a mis en avant ces derniers mois. Les personnes que j’ai photographiées sont des réfugiés qui vivent en Vendée depuis quelques années. Je les ai tous mis en scène à La Roche-sur-Yon.
Cela me semble important que le public identifie les lieux. Mon objectif n’est pas de montrer la pauvreté mais, au contraire, que l’intégration est possible, que c’est un plus pour notre société. Et que ce n’est pas facile, pour qui que ce soit, de quitter l’endroit où l’on est né.
Vos photographies ont été prises de nuit, pourquoi ce choix ?
De nuit ou au coucher du soleil, montrant ainsi leur “nécessaire discrétion”. Et puis parce que la nuit, tout le monde est de la même couleur ! Comme on dit, “la nuit tous les chats sont gris”, la nuit gomme les préjugés et favorise la rencontre. Sur chaque photo, ils portent aussi une valise, plus ou moins visible, symbolisant leur bagage culturel, les acquis professionnels et personnels qu’ils emportent. En leur parlant, dans la réalité, on se rend compte qu’ils sont venus sans rien ou seulement avec un sac plastique… Ce sont des gens qui bougent, donc dans chaque photo, on retrouvera aussi cette impression de mouvement.
Convaincre ces réfugiés de poser pour vous, cela n’a pas dû être facile…
J’ai eu quelques refus effectivement… Mais je comprends que ce soit dur pour eux de se montrer. Pour autant, il faut instaurer une complicité et un climat de confiance pour qu’un portrait soit réussi. J’ai suivi avec eux pendant deux mois les cours de français pour apprendre à les connaître. Mais la barrière de la langue a pu aussi parfois être une difficulté.
Avant ce projet, vous étiez allé photographier les habitants du Mali, de Palestine, du Brésil… Rencontrer l’Autre est-ce central dans votre travail ?
Échanger avec des gens qui connaissent la vie, qui vivent des expériences loin de notre quotidien, c’est très enrichissant.
Et, sans vouloir tomber dans le cliché, on se rend quand même compte que ce sont les gens qui ont le moins qui donnent le plus. On apprend tellement de choses au contact de cultures différentes !
Propos recueillis par Delphine Blanchard
Ouest France
Dans la ville, ses photos font surgir les migrants
Sur ses clichés, Maxime Pateau donne l'impression de les avoir ajoutés au décor urbain. Comme pour mieux montrer la vie discrète de ces hommes et ces femmes, qu'on refuserait de voir.
Ils sont d'ailleurs, mais vivent ici. Sur les images, on reconnaît d'ailleurs la gare, la place Napoléon ou les Flâneries, autant de lieux emblématiques de la ville. C'est là que le photographe Maxime Pateau a saisi la silhouette de ces hommes et ces femmes venant d'Afrique ou des pays de l'Est.
Son travail est présenté dans le cadre du festival Migrant'Scène, à l'origine du projet. Les organisateurs lui ont donné carte blanche. Il s'est inspiré de sa propre histoire quand, gamin, il avait posé le pied aux États-Unis pour un an.
« Ce n'était pas dans les mêmes conditions, mais il y a la même sensation d'être différent, la même volonté de se faire discret »
Ses photos révèlent ceux qui se cachent. Ceux qu'on refuse, aussi, de voir. Il aurait pu tirer le portrait de ces migrants, aux parcours chaotiques et aux vies cabossées. Il aurait pu, aussi, les saisir dans leur quotidien minimaliste, leur appartement dénudé pour ceux qui ont la chance de disposer d'un toit.
« On les voit toujours; sous l'angle de la misère. Je ne voulais pas de ça. »
Maxime Pateau a choisi de les faire exister dans la ville. En 1es photographiant la nuit, quand « tous les chats sont gris», quand les couleurs et les différences s'estompent.
Sur les photos, ils apparaissent isolés, sans autres silhouettes autour d'eux.
« Parce que lorsqu'on arrive dans un pays qui n'est pas le sien, on est seul pour tout »
Surtout, ils donnent l'impression de se fondre dans le décor urbain. Ou d'y avoir été ajoutés. Pour obtenir cet effet de surimpreSsion, le photographe a utilisé une faible obturation et un flash télécommandé. Comme s'il voulait révéler ces vies mises à l'écart, permettre de voir autre chose à travers elles.
Entre les différents portraits, il y a un dénominateur commun. Une valise. Comme une passerelle. Celle par laquelle transfèrent les souvenirs, un vécu, une âme.
« C'est leur bagage culturel. »
Il y a aussi un léger flou pour décrire le mouvement, celui qui accompagne l'errance.
L'objectif est loin des visages. Autant par pudeur que par souci de traduire une vie discrète, anonyme.
« Je voulais rappeIer que quitter son pays n'a rien de facile. Et que c'est dur de se montrer. »
Maxime le sait. Il a passé de longues heures à convaincre les protagonistes.